De même, pour se corriger d’un défaut, il ne faut pas se concentrer sur son éradication, comme s’il s’agissait de quelque chose qui puisse être retranché. Ce qu’on nomme défaut n’est autre que l’aspect négatif ou excessif d’un ensemble énergétique qui ne doit pas être mutilé, mais seulement modifié. Il suffit donc de développer son aspect positif, créateur, pour que disparaisse de lui-même, peu à peu, l’aspect contraire.
(Revue Epignosis. No III, 1erCahier. Février 1984)
— AMOUR :
L’homme est un être assoiffé d’amour. Parce que les sphères supérieures d’où il vient l’ont habitué à une densité d’amour qu’il ne retrouve plus sur terre. Il cherche alors désespérément à recréer ce paradis perdu, ce Jardin des délices, dont la disparition à la fois le traumatise et le stimule.
Dieu est l’être affamé d’amour. Il a créé l’univers pour la joie de se donner. Mais la création est aussi, nécessairement, retrait du Divin, et l’homme ne parvient guère à reconnaitre les voies de l’Amour. Celui-ci, alors, s’incarne dans la lignée des Avatars et des Bodhisattvas.
Évolution du mystique. Il commence par penser: « J’aime Dieu, j’aime tous les êtres ». Il finit par comprendre: « Dieu, par moi, S’aime en tout ».
— BÉNÉDICTION :
Le bourreau et la victime, celui qui nuit et celui qui subit, le mutilateur et le mutilé, le violenteur et le violenté, demeurent liés l’un à l’autre par-delà la mort dans une intrication complexe de haine, de ressentiment, de fureur, de méchanceté, de vengeance. C’est pour les psychés ainsi enchainées une sorte d’enfer qui se nourrit de lui-même, une possession réciproque qui se perpétue d’incarnation en incarnation.
Ce lien infernal ne peut être rompu que d’une seule manière: par un acte de pardon, c’est-à-dire de compréhension et d’amour, venant de la victime. C’est là, le feu qui brulera tous ces déchets psychiques, la lumière qui abolira toutes ces ténèbres. C’est l’acte souverain et difficile qui consacre le Sage et le Fils de Dieu. « Qui est bon, je suis bon avec lui; qui n’est pas bon, je suis bon quand même. Voilà la vraie bonté » (Lao-tseu). « Moi je vous dis: Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent » (Mt. 5, 44). Briser le cycle de la violence, pardonner en nous insérant dans le circuit d’Amour (cf. Mt. 6, 11-12).
Pardonner ne se peut faire que par qui possède le « regard divin », habitué à discerner les essences et les phénomènes. Ainsi que le déclare Râmakrishna (Enseignement, n°1504): « Quand je vois les hommes dissemblables, je me dis: Dieu sous la forme du saint, Dieu sous la forme du pécheur, Dieu sous la forme du juste, Dieu sous la forme du méchant ». — Par qui a compris la nature du triple Amour suressentiel, par qui est capable de prier pour les démons eux-mêmes (cf. saint Isaac le Syrien). Dans la légende judéo-chrétienne qui montre Satan disputant à Michaël le corps de Moïse, on voit le démon se laisser persuader par l’archange de renoncer à sa volonté propre pour l’aider à enlever Moïse au ciel. Pourquoi ce résultat? Parce que Michaël ne l’avait pas maudit… (A. Volguine, L’ésotérisme de l’astrologie. Paris, Dangles, 1953, p.56).
Pardonner, aimer, bénir, c’est l’acte créatif par excellence, le seul moyen de venir à bout de la violence et de l’opacité des âmes.
A Keshab, partisan de réformes brutales, Ramakrishna propose ce programme magnifique: » Le Progrès véritable est suscité par celui qui bénit. Serez-vous capable de faire déferler sur nous la vague de bénédictions qui inondera et transfigurera tous les rivages de notre vie? » (D. G. Mukerji, Le Visage du silence. Édit. Victor Attinger, 1932, p.100).
— BIEN-ET-MAL (Par-delà le) :
Pour sauter dans l’infini de la liberté spirituelle, il faut sortir de la « morale » par en haut, dépasser le plan de la dualité bien-et-mal, de l’ordre et de la défense, de la comptabilité orgueilleuse et de la transgression répétitive, de la satisfaction et du désordre.
« Celui qui a uni son intelligence (au Divin) rejette, même ici-bas, le bien et le mal » (Gîta 11, 50). De Ramakrishna (Ens., n°1438): « Le bien et le mal ne lient plus celui qui a réalisé l’unité de nature entre Brahman et lui ». Le bouddhisme déclare: « Celui qui vit pleinement et fidèlement selon la Doctrine, qui, par la sagesse, a surmonté ce que le monde appelle le bien et le mal, qui vit dans la clairvoyance, celui-là peut vraiment être appelé un ascète » (Dhammapada). Selon ‘Attar, l’homme qui a pénétré dans la sphère de l’Amour s’est élevé par-delà les distinctions du mental et le domaine de la Loi : « Je suis hors de bien-et-mal, hors de mécréante et religion, hors de théorie et pratique… » Même considération dans le Message retrouvé (XI, 63b) : « Celui qui s’est délivré de la volonté de bien faire et de la peur de mal faire, est près de la liberté de Dieu ».
Il faut donc s’affranchir des vices et des vertus, qui représentent en fait des blocages énergétiques, des obstacles à l’Amour véritable.
« Nul ne peut entrer au Paradis avec ses limites, vices ou vertus » (sentence cabbalistique). Les bouddhistes disent: « Après s’être purifié de ses défauts, il faut se purifier de ses vertus »
(F. Schuon, Perspectives spirituelles et faits humains, Les Cahiers du Sud, 1953, p. 265) ; les chrétiens disent: « Seul est digne de contempler le Divin celui qui n’est l’esclave de rien, pas même de ses vertus » (Ruysbroeck). Et le Message retrouvé (XI, 64b) : « Le saint qui veut aller à Dieu doit se libérer des liens du péché et de ceux de la vertu » (Louis Cattiaux, Le Message retrouvé Bruxelles, 1978).
Le Codex D (Bezae, Cambridge), à la place de Luc 6, 5, comporte ce court récit: « Le même jour, voyant quelqu’un travailler alors que c’était le sabbat, Jésus lui dit: Mon ami, si tu sais ce que tu fais, bienheureux es-tu. Mais si tu ne le sais pas, tu es un maudit et un transgresseur de la Loi ». On ne peut s’élever au-dessus des règles et des devoirs moraux ou religieux que si l’on a compris leur relativité par rapport à l’essentiel, qui est l’Amour pour Dieu et pour tous les êtres. Comme le précise Angelus Silesius (Pèlerin chérubinique V, 276): « Le saint ne fait rien selon les commandements. Le saint, en ce qu’il fait, ne fait rien selon la Loi: il le fait purement, par amour de Dieu ».
Ainsi doit-on quitter le plan de la « morale »: polarisé par des Énergies supérieures, par l’Intellect-Amour, par la Beauté de Dieu.
— CIRCUIT (le) DES ENERGIES DIVINES :
« Nous sommes tous en Dieu, mais peu le savent, et quelques-uns à peine l’expérimentent dans ce monde » (Message retrouvé XIII, 5b).
Nous naviguons tous sur l’océan des bénédictions divines. Cependant, les uns, fermés, enroulés sur eux-mêmes, caparaçonnés contre l’Amour, refusent de se laisser pénétrer par ces influx bénéfiques qui deviennent alors pour eux maléfiques; les autres acceptent ces forces, mais veulent les retenir pour eux, les mettre au service de leur ego, ce qui constitue en eux une source d’empoisonnement; quelques-uns, peu nombreux, laissent libre passage à ces bénédictions, qui les vivifient, et ils les irradient autour d’eux comme autant de relais de l’Amour divin.
Le Lama Anagarika Govinda écrit: « Au lieu de réaliser les éléments d’immortalité qui se trouvent dans le processus même du devenir, nous nous accrochons à ses formes extérieures, à ses sous-produits matériels, et ainsi nous endiguons le fleuve vivant qui nous relie à l’univers. » « Lao-tseu exprime une idée analogue lorsqu’il compare l’homme à une vallée basse dans laquelle coule une rivière ou un canal de forces universelles. Une rivière ou un canal a deux fonctions: recevoir et donner, mais non pas conserver. Celui qui essaie de conserver la vie ou l’un quelconque de ses dons perd la vie et ses dons. L’ego ferme le canal et en fait un étang putride, un bouillon de culture pour la mort et la déchéance » (Méditation créatrice et conscience multidimensionnelle (Albin Michel, 1979, p. 259). Tout l’enseignement des Dialogues avec l’Ange est une illustration de cette vérité.
— CŒUR :
Il faut distinguer avec soin le « cœur », ou psyché profonde, et le « Cœur » (avec une majuscule), qu’on appelle aussi l’ « âme du cœur » ou le « cœur du cœur « . Ainsi la sagesse de l’Égypte ancienne ne confondait-elle pas le cœur Hati, correspondant à la psyché profonde, et le Cœur Ab, le « roi du corps », la clef secrète de la Vie pour l’homme, le lieu où se combinent les courants involutifs et évolutifs.
Donc, au sens large, le cœur n’est autre que la psyché profonde (volitive, affective, intellective), qui est comme le reflet et l’enveloppe du Cœur central, et qui, selon les modalités de la conscience individuelle, est plus ou moins proche ou distante de lui. Ce cœur-là peut alors être opaque ou transparent, mauvais ou bon, hostile ou relié à son noyau immortel. Il doit être purifié pour que le principe-germe de la divinité et du Je véritable en nous (le Cœur) puisse se développer et transformer notre personne. Lorsque Jésus dit: « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu » (Mt. 5,8), il fait allusion à la transparente unité de la psyché, condition d’éveil de l’œil du Cœur.
Le Cœur est en nous la « racine des puissances », la « mine des secrets », la « source des lumières » (Philocalie); il est feu divin et céleste, royaume solaire; il est le « lieu de Dieu » et de ses Énergies (Sephiroth) dans ce microcosme que nous sommes.
Essai de définition:
Cœur : incarnation du Principe divin, du Je;
concentration de l’Esprit et de l’Ame essentielle pour former le noyau fondamental de l’être humain;
point de jonction des champs théo- et bio-énergétiques;
source de vie pour la psyché et le corps;
agent du retour vers le Je divin.
Il comporte sept modalités ou fonctions, qui sont:
la Mémoire (visée: le Soi), la Volonté (visée: le Reliement), la Kénose (visée: le Vide, l’Ouverture), l’Intellect (visée: la Gnose), l’Amour (visée: le Reliement), la Créativité (visée: l’Art, la Théurgie), et l’Unification (visée: la Paix).
Lorsque la psyché, livrée à elle-même, n’est pas reliée au Cœur, il y a dégradation de ces fonctions. A la Mémoire s’oppose l’accumulation quantitative; à la Volonté déificatrice, la volonté de puissance; à la Kénose, l’enroulement de l’ego sur lui-même; à l’Intellect, le mental diviseur; à l’Amour, le complexe impulsif amour/haine; à la Créativité, le complexe construction/destruction; à l’Unification, l’activité fragmentaire et la discorde.
Une peinture indienne du XIXe siècle nous présente le dieu-singe Hanuman: il contient dans son Cœur l’image des grands dieux (Shiva, Parvati), ce qui symbolise la présence des forces spirituelles au sein de la forme de chair (David V. Tansley, Le Corps subtil (Seuil, 1977, p. 7). D’autre part, lorsque le « voyageur » du Livre des Morts des anciens Égyptiens déclare: « En vérité, je porte en moi les germes et possibilités de tous les dieux », ou encore: « Je suis le Seigneur des métamorphoses, car je possède en moi, virtuellement, les Formes et les Essences de tous les dieux » (Édition par G. Kolpaktchy, « Omnium Littéraire », 1973, pp. 166 et 312.), c’est de son Cœur qu’il porte témoignage.
Quelques réflexions de Ramana Maharshi sur le Cœur.
« Le Cœur n’est pas physique, il est spirituel. L’expression hridaya, cœur, (hrid + ayam), veut dire: ‘Ceci est le centre’. Le Cœur est le centre de tout. Brahman est le ‘Cœur’… Le Soi, c’est le Cœur. Le Cœur est lumineux par lui-même. La lumière part du Cœur, puis atteint le cerveau, qui est le siège du mental. Si le mental est orienté vers la source de lumière, la connaissance objective s’abolit, et le Soi seul demeure, en tant que Cœur resplendissant ».
« Le lieu de la réalisation, c’est le Cœur ». « Le Cœur est la seule réalité. Le mental n’est qu’une phase passagère. Rester soi-même, c’est entrer dans le Cœur ». Et le sage d’Arunâchala souscrit à cette déclaration: « Du côté droit, dans la poitrine, il y a le Cœur, le siège de l’Atman. L’illumination est dans ce centre lorsque le Soi est réalisé » (L’enseignement de Ramana Maharshi, Albin Michel, 1972, pp. 92 -93, 112, 198, et 84).
Suivons le conseil d’un autre sage: « Alors, dans l’ombre de la terre (le monde matériel et psychique), considère le triangle de ton Cœur, et vois le mystère, le Hûm (c’est-à-dire l’Infini « personnalisé »), qui y réside; au milieu du lac calme (thème du miroir), il y a une sainte montagne (thème de la montée vers le Divin). Au sommet est ton Guru qui, la tête tournée vers le Levant, le chapelet entre les doigts, contemple la Lumière de l’Ineffable (thème du médiateur, du Maître intérieur). Mon fils, écoute les paroles du Suprême Guru qui réside en toi (c’est Dieu, le Satguru de Kabir, dont le Maître intérieur est un aspect). Tout composé est périssable (= l’individualité). Mais ton Cœur est un monastère pur et resplendissant qui renferme la merveille des merveilles (c’est l’Amour du Dieu-Père et du Dieu-Fils, ou la Pierre de Lumière) » (Jean M. Rivière, A l’ombre des monastères thibétains. Éditions Victor Attinger, 1956, p.180.
Et aussi Petite Philocalie de la prière du Cœur, trad. et présentée par J. Gouillard, Seuil, 1968.
VOIR » Pour une anthropologie globale et opérative «
— COMPASSION :
Le Bouddha envoya Manjushri prendre des nouvelles de Vimalakirti (laïc et grand bodhisattva) malade. « De quoi souffrez-vous, demanda Manjushri, et que pourrait-on y faire ?
— Je souffre, dit Vimalakirti, d’être né de l’amour d’un homme et d’une femme. Ma maladie est l’impermanence, le mal dont souffre tout le genre humain. Guérissez l’humanité et mon mal cessera. La maladie est un accident dans la rotation des naissances et des morts. Pour la supprimer, il faudrait supprimer cette rotation. Je ne veux pas guérir, pour ne pas me distinguer des autres êtres, au sort desquels j’unis le mien.
— Et comment vous consolez-vous, dans vos souffrances ? s’enquit Manjushri.
— Je me console, répondit Vimalakirti, non pas en pensant que la fin de mon corps approche, que vient le repos du nirvana, que l’extinction de mon moi est imminente. Je me console en pensant, d’abord, que par ma patience et ma résignation, je dissous le mauvais karma amassé au cours des âges; ensuite, que par ma patience et ma résignation, j’apprends à faire de même à beaucoup d’êtres. Je me console en m’unissant aux souffrances de tous les êtres qui expient, au travail de tous les êtres qui progressent. Je me considère comme un médecin universel, et m’occupe à guérir les malades. Cette idée change mes pensées en joie » (Il s’agit du récit intitulé « Manjushri visitant Vimalakirti malade ».
Voir Dr Ed. Bertholet, La Réincarnation. Lausanne, 1978, pp. 94-95).
Telle est la véritable compassion.
— CONCENTRATION (la) SUR LE POSITIF :
La méditation ne doit pas porter sur le vide, ni se concentrer sur la vacuité de la psyché: travail pénible, trop grand consommateur d’énergie, et qui laisse libre passage à n’importe quel influx.
La méditation doit porter sur une force qui, une fois éveillée, va s’accroitre d’elle -même, sur un élément divin qui, à mesure qu’il remplit l’être, en élimine la négativité et en transmue le caractère.
De même, pour se corriger d’un défaut, il ne faut pas se concentrer sur son éradication, comme s’il s’agissait de quelque chose qui puisse être retranché. Ce qu’on nomme défaut n’est autre que l’aspect négatif ou excessif d’un ensemble énergétique qui ne doit pas être mutilé, mais seulement modifié. Il suffit donc de développer son aspect positif, créateur, pour que disparaisse de lui-même, peu à peu, l’aspect contraire.
Laisser les combats dans l’âme; se concentrer sur l’accroissement du Divin. Ne pas s’hypnotiser sur les forces négatives, faire siennes les forces positives. Appeler la lumière, pour que l’aurore remplace la nuit.
— CONNAISSANCE (Le chemin de la) :
L’esprit humain, toujours, n’a que trop tendance à s ‘enfermer dans un système, par peur du « Sans Fin » et désir du « repos ». Il faut sans cesse méditer cette page du Mantiq ut-taïr (Le Langage des Oiseaux) de ‘Attar, concernant la vallée — ou le chemin — de la Connaissance (ma’rifat) [Mantiq ut-taïr, Éditions d’Aujourd’hui, 1975, chap. XL, p.194. Voir aussi PÈLERIN) :
1. Lorsque le soleil de la connaissance brille à la voûte de ce chemin, qu’on ne saurait décrire convenablement, chacun est éclairé selon son mérite, et il trouve le rang qui lui est assigné dans la connaissance de la vérité.
2. Quand le mystère de l’essence des êtres se montrera clairement à lui, la fournaise du monde deviendra un jardin de fleurs. L’adepte verra l’amande bien qu’entourée de sa pellicule (= Dieu à travers ses voiles). Il ne se verra plus lui-même, il n’apercevra que son ami; dans tout ce qu’il verra, il verra Sa Face; dans chaque atome il verra le tout; il contemplera sous le voile des millions de secrets aussi brillants que le soleil.
3. Mais combien d’individus ne se sont pas perdus dans cette recherche pour un seul qui a pu découvrir ces mystères? Il faut être parfait si l’on veut franchir cette route difficile et se plonger dans cet océan orageux.
4. Quand on a un goût véritable pour ces secrets, on ressent à chaque instant une nouvelle ardeur pour les connaître. On est réellement altéré du désir de pénétrer ces mystères, et on s’offrirait mille fois en sacrifice pour y parvenir.
5. Quand même tu atteindrais de la main le Trône glorieux, ne cesse pas un instant de prononcer ces mots du Qorân: ‘N’y a-t-il rien de plus?’ Plonge-toi dans l’océan de la connaissance, sinon mets du moins sur ta tête la poussière du chemin ».
1. Chacun reçoit selon sa capacité, mais cette capacité est susceptible d’accroissement constant.
2. Pour celui qui sait, l’ici-bas et l’au-delà, le temps et l’éternité, le samsara (monde phénoménal) et le nirvana (royaume des Essences), constituent une seule et même Réalité; Dieu — ou le Soi — se révèle partout; chaque élément contient tous les autres et se reflète dans tous les autres (cf. la vision de la nouvelle physique).
3. Thème de l’aventure périlleuse et de l’héroïsme lucide.
4. Thème de l’ardent désir, du Feu sacré.
5. Ne jamais s’arrêter, pousser toujours par-delà (avis a ceux qui parlent d’initiation suprême, d’expérience définitive).
— CONTINUITÉ (la) DE LA CONSCIENCE-ÉNERGIE :
C’est sur quoi doit porter notre effort principal: non seulement s’éveiller à la conscience, mais disposer continûment de cet éveil, sans plus de coupure ni d’interruption. Qu’un même courant de conscience parvienne à relier, à travers le sommeil, les jours aux jours, comme ensuite, à travers la mort, les vies aux vies!
« L’idéal de Bodhisattva », dit le Lama Govinda, « c’est-à-dire la ferveur à atteindre un but spirituel, peut seul transformer la conscience en une force vitale unifiée et dirigée vers une fin unique, et ainsi permettre de franchir l’abîme de la mort, et donner l’impulsion qui relie une vie à l’autre dans un éveil toujours plus subtil et conscient de ses responsabilités comme de la plénitude de son but » (Les fondements de la mystique tibétaine. Albin Michel, 1960, pp. 371 sq., illustrent clairement cette phrase, extraite du Chemin des nuages blancs, ibid., 1969, p.197) .
Quant à Gustav Meyrink, il déclare dans Le Visage vert: « Ne te laisse pas effrayer par la peur de ne pas pouvoir, peut-être, atteindre le but dans cette vie! Celui qui a mis une fois le pied sur notre chemin (celui de l’évolution consciente) revient toujours au monde avec une maturité intérieure qui lui permet de continuer son travail. Il naît comme ‘génie’ » (Paris, La Colombe, 1964, p.227).
— CRÉATION / POURQUOI LA CRÉATION ?
Un célèbre hadith prête à Dieu cette déclaration fondamentale: « J’étais un trésor caché: J’ai voulu être connu et J’ai créé le monde ».
Voilà, transposée dans le temps, l’éternelle intention de l’activité créatrice déployée par la Déité: former des miroirs de sa Beauté, des partenaires pour son Amour, des regards pour son regard, des visages pour son visage, des icônes de sa Splendeur, des conquérants de sa Vérité; projeter aux alentours de sa puissance, sur les rives de son abîme, des dieux avides de liberté et d’expériences, pour les rappeler ensuite vers Elle des extrémités du cosmos, chargés des soieries de la connaissance, des épices de vies sans nombre, et des gemmes de l’art sacré.
Chacun, en fait, doit considérer cette parole divine comme proférée pour lui personnellement: car chacun d’entre nous, émanation du Feu essentiel, monade fulgurée par l’Éternel, microcosme ordonné à la totale compréhension du monde, est là, en cet instant, pour découvrir le « trésor caché » qu’est en lui — comme en tout — la Présence divine, et pour répondre, par un désir ardent, à cet incommensurable désir d’être connu qui donne à Dieu son visage.
— DÉCOUVERTE (la) DU SOI :
« L’homme est un dieu qui ne sait pas qu’il est tel — et c’est uniquement ce non-savoir qui le fait homme » (J. Evola, La doctrine de l’éveil. Adyar, 1956, p.117). La connaissance du Soi en soi est donc le moyen infaillible de dépasser la condition humaine.
Ne rien chercher hors de soi-même, car tout se trouve, depuis toujours, au cœur, au centre, au sommet de notre être, dans ce mode original du Soi qu’est réellement chacun d’entre nous. « Purifie-toi des attributs du moi », déclare Rumi, « afin de pouvoir contempler ta propre Essence pure, et contemple dans ton propre Cœur toutes les sciences des prophètes, sans livres, sans professeurs, sans maitres » (Mathnawi II, 159).
On demande à Ramana Maharshi: « Est-ce que Vaikuntha (le paradis de Vishnou) est compris dans le Paramapada, le Soi transcendant? » Sa réponse: « Où voulez-vous que soient Vaikuntha et Paramapada si ce n’est en vous? »(L’enseignement de Ramana Maharshi, p.330. Voir aussi ÉVEIL). Angelus Silesius, quant à lui, affirme: « Le Royaume des cieux est en nous. Chrétien, mon ami, où cours-tu? Le ciel est en toi. Pourquoi donc le chercher à la porte d’un autre? » (Pèlerin chérub., I, 298). Il dit également: « La Pierre philosophale est en toi » (III, 118), cette Pierre de Lumière tissée de l’Amour réciproque du Père et du Fils. La « conversion » consiste donc à tourner toute son énergie vers l’intérieur, vers cet abîme intérieur qui implique celui de la Déité.
Tout est ici, en face de moi, près de moi, en moi, depuis le commencement des temps: les puissances du Cœur, la Connaissance totale, l’Amour suressentiel, les Energies créatrices, le Royaume de Dieu, la Vie de l’Arbre séphirothique, la lumière du Bouddha et du Christ, les vingt-et-une Taras, Khezr et le XIIe Imam, la Cour des Abeilles, Shambhala, la Jérusalem céleste, la Merkabah, tous les saints, tous les sages, tous les maitres, tous les Amis de Dieu… Mais par aveuglement, par opacité, par ignorance, par fermeture, je n’en ai pas conscience : je crois que tout cela est éloigné de moi, hors de portée. Il me faut donc devenir vide, vide de ténèbres et d’obstacles, transparent, réceptif, hypersensible au souffle divin. Je renonce au néant pour gagner le Tout. Et, selon l’adage, « rien n’est atteint: tout est découvert ».
— DÉSIR (le) ARDENT DE DIEU :
C’est la clef de la réussite sur la voie fulgurante de la transfiguration. De Râmakrishna : « Ceux dont la concentration et le désir d’atteindre Dieu sont très ardents, L’atteignent (Le découvrent en eux) plus rapidement que les autres hommes » (Ens., n°933). Le Message retrouvé va dans le même sens: « Dieu délivre seulement ceux qui L’implorent avec un désir furieux et un amour insensé » (V, 17).
Que faire de mieux que de méditer ces vers extraits du Diwan de Rumi, le musulman?
« Je ne suis ni chrétien, ni juif, ni guèbre, ni musulman;
Je ne suis ni d’Orient, ni d’Occident, ni de la terre, ni de la mer;
Je ne proviens pas de la nature, ni des cieux en leur révolution.
Je ne suis pas de l’empyrée, ni de la poussière; pas de l’existence ni de l’être…
Je ne suis pas de ce monde, ni de l’autre, ni du paradis ni de l’enfer…
Ma place est d’être sans place, ma trace d’être sans trace;
Ce n’est ni le corps ni l’âme, car j’appartiens à l’Ame du Bien-Aimé.
J’ai renoncé à la dualité, j’ai vu que les deux mondes sont un:
Un seul je cherche, Un seul je sais, Un seul je vois, Un seul j’appelle.
Il est le Premier, Il est le Dernier, Il est le Manifeste, Il est le Caché.
Je suis enivré de la coupe de l’Amour, je n’ai que faire des deux mondes… »
Eva de Vitray-Meyerovitch, Anthologie du soufisme (Paris, Editions Sindbad, 1978), p.262.
— DÉTACHEMENT
Qu’est-ce que le détachement, ou le non-attachement ? Ce n’est ni l’indifférence, ni l’éloignement, ni la sécheresse.
C’est avoir placé son Cœur dans le Soleil, ou résider dans son Je véritable, par-delà les événements, les phénomènes, les mirages de l’ego et tous les prestiges de Maya. C’est être, quoi qu’il arrive, inattaquable, invulnérable, hors de portée.
Et c’est également, grâce à cette sagesse toute-puissante, à cette énergie inépuisable, s’intéresser à tout événement et aimer tout être, librement, efficacement, souverainement, sans aucun risque de tomber dans les pièges passionnels.
Le détachement, c’est la plénitude invincible du Soi qui se manifeste partout et toujours en pluie de bénédictions et en courants de lumière.
— DEVENIR Ce que nous sommes :
Nous sommes des dieux, mais ignorants de notre condition divine. Chacun de nous porte en lui, virtuellement, la gloire tout entière du Fils unique de Dieu. Chacun de nous possède un Cœur, étincelle du Feu divin, principe-germe de son immortalité, garant de son appartenance au Circuit trinitaire, de sa ressemblance avec Dieu.
Si seulement nous prenons conscience de cette réalité fondamentale, si nous comprenons qu’il nous faut devenir pleinement ce que potentiellement nous sommes, c’est le premier pas vers l’Éveil, le premier pas sur la route sans fin qui nous mènera de l’ego séparé et enténébré au Je de lumière relié à tous les modes du Divin, et de l’agitation illusoire à la toute-puissance bénéfique.
Une race de dieux: c’est la nôtre, si nous le voulons vraiment. « Vous êtes des dieux et vous êtes tous des fils du Très-Haut », déclare Élohim à l’adresse de ceux qui participent du Feu sacré (Psaume 82, 6), et Jésus reprend cette formule dans un contexte franchement universaliste (Jn. 10, 34). C’est donc bien de nous qu’il s’agit.
Certains, plus avancés que les autres sur la voie, nous prouvent la réalité de cette affirmation, et ils nous appellent à leur suite. C’est leur enseignement qu’il faut méditer et mettre en œuvre pour se trouver soi-même en trouvant Dieu et tous les êtres. Et c’est cet enseignement que nous proposons à nouveau, immuable noyau de fruits divers, pour nous stimuler nous-même, pour aider tous ceux qui l’attendent, pour régénérer et accroître notre race divine.
Voir aussi ÉVEIL.
— DIALECTIQUE ENTRE PRÉSENCE ET ABSENCE :
La maîtrise de la dialectique est la clef de l’évolution, de l’équilibre, de l’efficacité. Dialectique entre au-dessus et au-dedans, au-delà et ici-bas, retraite et retour, absence et présence, contemplation et action, repos et mouvement, etc.
Il faut des êtres capables de vivre « essentiellement » dans le monde des « formes », des êtres pour qui nirvana et samsara peuvent s’interpénétrer. Il faut des âmes citoyennes de la Cité du sommet, commensales du Pôle, et pérégrinant avec autant d’intelligence que de compassion parmi toutes les cases de l’échiquier cosmique.
Les quatre hommes et le jardin clos (Enseignement de Râmakrishna, n° 1066). « Il y avait une fois un jardin enclos de grands murs, et ceux qui étaient au dehors ne pouvaient le voir. Quatre hommes bien décidés à le découvrir apportèrent un jour une échelle pour escalader le mur. Quand le premier eut grimpé en haut de l’échelle, il éclata de rire: « Ha, ha, ha! » et sauta dans le jardin. Le second monta à son tour, se mit à rire et sauta, lui aussi. Le troisième fit de même. Quand le quatrième arriva au faite du mur, il vit devant lui un grand jardin avec de beaux vergers pleins de fruits délicieux. Bien que fortement tenté de s’y rendre et de jouir de ce qu’il y trouverait, il résista à cette impulsion, redescendit l’échelle, et s’en alla raconter à ceux qui n’avaient pas vu le jardin la beauté de celui-ci.
Brahman est comme ce jardin clos; ceux qui Le voient oublient leur existence propre et se précipitent en Lui pour être absorbés dans Son essence. Ce sont les hommes saints et les libérés. Mais les Sauveurs de l’humanité sont ceux qui, ayant vu Dieu, et désirant en même temps faire partager à d’autres la Vision divine, refusent l’occasion de passer dans le nirvâna et se réincarnent volontairement dans ce monde pour instruire l’humanité et la conduire à son but ». En fait, ce quatrième homme se trouve à la fois dans le jardin et dans le monde: dans le jardin par l’essence de son être, dans le monde par l’ardeur de sa compassion. Il y a donc, dans son cas comme dans celui de tout bodhisattva, dialectique entre absence du monde et présence au monde.
Que dit le bouddhisme? « Le profane voit uniquement le samsâra (= le plan phénoménal) ; le buddha-pour-soi tend au seul nirvana (= le royaume des Essences). Le bodhisattva s’efforce de les égaliser en faisant pénétrer le nirvâna dans le samsâra, et la paix inonde alors le devenir; puis quand le samsâra pénètre dans le nirvana, l’univers flotte dans la paix. L’égalisation achevée, nirvana et samsâra s’identifient dans la ‘Connaissance de Miroir’, à tel point qu’il n’y a plus ni samsâra ni nirvana, mais la seule et inexprimable Ainsité » (Le Bouddhisme, Fayard, 1977, p.260).
Il s’agit en fait d’une subtile dialectique entre l’Essence et le phénomène, qui s’appellent mutuellement en une perpétuelle intrication; et le bodhisattva vit pleinement cette dialectique qui le fait participer à la Conscience-Énergie divine, omniprésente et multimodale.
Nous devons, à la fois, être au-dessus du monde et vivre au-dedans du monde, être ailleurs et ici. Le maitre du Tch’an qui signe Wei Wu Wei déclare: « Il faut vivre ‘nouménalement’ parmi les phénomènes »(La Voie négative, Édit. de la Différence, 1979). Avec son sens heureux de l’image, Râmakrishna précise: « Comment l’âme libérée vit-elle en ce monde? Elle y vit comme l’oiseau plongeur. Celui-ci en effet plonge dans l’eau, mais cette eau ne mouille pas son plumage. Si quelques gouttes adhèrent à son corps, il les secoue en battant des ailes » (Ens., n°1428).
La réussite dialectique nous met en possession des « deux Royaumes », celui de la Terre et celui du Ciel, celui du temps et celui de l’éternité. Il en est ainsi du héros du Visage vert, dont Meyrink dit: « Comme la tête de Janus, Hauberisser pouvait plonger ses regards à la fois dans l’au-delà et dans le monde terrestre, et en distinguer nettement les détails et les choses: Il était un Vivant ici-bas et dans l’au-delà » (Conclusion du roman, p. 303).
Et Râmakri4ina: « Il est des hommes qui préfèrent rester dans le monde après avoir réalisé Dieu. Ils peuvent voir à la fois au-dedans et au-dehors… » (Ens., n°1433).
Dialectique entre agir et non-agir. « Celui qui, dans l’action, voit l’inaction, et dans l’inaction, l’action, est un sage parmi les hommes; c’est un yogin et il a accompli toute son œuvre » (Gitâ IV, 18). Action: référence au dynamisme du devenir; inaction: référence à la stabilité de l’être. Le sage participe des deux. L’Évangile selon Thomas comporte cet admirable logion (50): « S’ils vous demandent: Quel est le signe de votre Père qui est en vous?, dites-leur: C’est un mouvement et un repos (kinèsis / anapausis) ». Une puissance créatrice et une plénitude de paix. Corrélation de l’œil et du corps. Une belle illustration de la dialectique repos / mouvement nous est fournie par l’icône de la Sainte Trinité de Roublev: les trois Anges sont assis, plongés dans une contemplation mutuelle, mais leurs bâtons, fermement tenus, signifient leur vocation d’éternels voyageurs.
— DIEU :
Ensemble infiniment complexe, quoique parfaitement un, de modes d’être et d’énergies qui défient la connaissance ou l’imagination. D’innombrables « points de vue » peuvent s’exprimer sur Lui, selon les capacités et les expériences personnelles.
Non pas prouver, mais éprouver Dieu, en se rendant capable de Lui, car seul le semblable peut connaître le semblable.
Angelus Silesius, Pèlerin chérubinique, IV, 21: « Le Dieu inconnu. Ce qu’est Dieu, on ne le sait. Il n’est ni lumière, ni esprit, ni vérité, ni unité, ni Un, ni ce qu’on appelle Déité; ni sagesse, ni raison, ni amour, ni volonté, ni bonté; ni chose, ni non-chose, ni essence, ni cœur. Il est ce que moi, toi, et toute créature, nous n’apprenons jamais avant d’être devenus ce qu’Il est ».
Que « Dieu existe », l’élite de l’humanité est là pour le prouver. Mais il ne s’agit pas de prouver Dieu: il s’agit de se rendre capable de Dieu.
Point de vue n°1.
L’Abime infini, l’Inconnaissable, le Rien inaccessible et incompréhensible, l’Absolu (nous disons: inconnaissable par la personne humaine, sous réserve d’une suite de mutations transpersonnelles). C’est le Aïn de la Cabbale (Aïn Soph signifiant le « Sans-limites »), le Qui ?, l’Ungrund de Jacob Boehme, la Sur-déité (Über-Gottheit) d’Angelus Silesius, l’Au-delà de l’Au-delà (le Para-Brahman de l’hindouisme).
Point de vue n°2.
L’Inconnaissable qui, pourtant, veut être connu. Selon l’intention essentielle de la Création, révélée par le hadith déjà cité: « J’étais un trésor caché: J’ai voulu être connu et J’ai créé le monde ».
Point de vue n°3.
L’ensemble Essence, Personnes, Idées-Forces et Énergies. J.-G. Bardet donne cette définition de l’Essence: « Dieu est la Vibration pure, autonome, incréée », qui se diffuse partout et toujours. Ce sont les expressions « Ténèbre », « Ténèbre translumineuse », qui désignent cette Essence par opposition aux Énergies, qui sont des « sorties de Dieu » dans la manifestation. « Dieu est Ténèbre et Lumière. Dieu est un Eclair brillant (Sephiroth, Énergies), et aussi un Néant sombre (Essence)… » (Pèlerin chérub., II,146).
Le « Nous » divin est constitué par ce qu’on appelle les « Personnes » du Circulus trinitaire, qu’exprime le Tétragramme Y H W H. Ce Tourbillon trinitaire doit être considéré en même temps comme étant « au repos » (Y = Père, W = Fils, HH = leur Amour mutuel) — c’est Dieu éternellement épris de Sa propre Beauté —, et comme étant « en action » (Y = Père, W = Verbe, HH = le double Esprit descendant et montant) — c’est Dieu animant éternellement l »‘espace » de Sa Création.
Le « Je » divin, ou JE par excellence, est dans la Cabbale Anî, anagramme de Aïn. « Nul ne dit JE si ce n’est Dieu, car la personnalité réelle appartient à Dieu seul » (Kitab al-Luma’) ; « Le mot Je n’appartient à personne sauf à Dieu dans Son Unicité » (Maitre Eckhart). D’où le « Je Suis » et le « Je Suis Qui Je Suis » (ou « Je serai Celui que Je veux être ») d’Exode III, 14.
Les Idées-Forces, émanées du Père, proférées par le Verbe, et portées par l’Esprit, sont des modes spécifiques de la Conscience-Énergie divine, qui animent, entre autres, tous les « Je véritables » auxquels nous nous rattachons, tous les partenaires et miroirs du Je unique. Chacun peut dire, d’une certaine manière: « Je suis une Idée de Dieu ».
Quant aux Énergies, ce sont ces Sephiroth que nous avons déjà mentionnées.
Point de vue n°4.
L’immanence de Dieu. Par sa kenôsis ou limitation, Il constitue le noyau éternel de chaque être; Il est, à l’intérieur de tout, la Source pérenne et omniprésente (mais à des degrés divers) de Vie. Ce sont les Vestigia Dei (traces, empreintes divines) selon saint Bonaventure, c’est la Signatura rerum selon Jacob Boehme. « Le Seigneur réside dans le Cœur de tous les êtres… » (Gitâ XVIII, 61) , « Dieu est tout en tout. En Christ, Dieu est Dieu, en l’ange icône d’ange, en l’homme homme, et en tout, tout ce que tu voudras » (Pèlerin chérub. , V,214).
Point de vue n°5.
La complexe unité des trois modalités fondamentales: (1) Dieu transcendant — (2) Dieu créateur — (3) Dieu intérieur (ou: Abîme — Verbe — Germe). Éphésiens IV, 6: « Il n’y a qu’un Dieu et Père de tout, qui est au-dessus de tout (transcendance), qui agit à travers tout (Énergies), et qui vit au-dedans de tout (immanence) ». Cette simple phrase vaut tout un traité de théologie. Triple saisie de Dieu, donc, indispensable pour éviter toute erreur grossière Le concernant. A noter la prodigieuse dialectique au-dessus / au-dedans (qui doit d’ailleurs nous servir d’exemple) : « Dieu est rien et tout. Dieu n’est rien, et Il est tout, sans sophisme, à la fois. Peux-tu dire ce qu’Il est? ou nommer quelque chose qu’Il ne soit pas? » (Pèlerin chérub., V, 197). « Au moment précis où Dieu est immanent, Il est totalement transcendant. A l’instant où Dieu est ‘plus près de l’homme que la veine de son cou’ (Qorân L, 16), Il est au-dessus de toute forme, pensée et chose présentes dans l’univers »(Laleh Bakhtiar, Le Soufisme ; Seuil, 1977, p. 9).
Point de vue n°6.
Le Couple divin éternel et indissoluble.
La duellité de Dieu, ou du Je-Suis, est le secret de la Vie divine: c’est la bi-unité du Yod (le Père) et du Waw (le Fils), le constant échange d’amour, le monologue à deux voix, l’incessant retour sur soi de la Lumière. A l’image de ce Bipôle Père – Fils, la relation de chacun d’entre nous avec Dieu se présente, en réalité, comme un exemplaire particulier du Couple éternel. Relation entre LUI – Dieu – Père et MOI – Dieu – Fils. Éveillé, l’homme est vraiment le « double » de Dieu, son Alter Ego, et un jumeau du Fils unique… Voici un distique d’Angelus Silesius intitulé Gottes ander Er (I, 278): « Je suis l’autre Lui de Dieu, c’est en moi seul qu’Il trouve ce qui Lui sera semblable et analogue de toute éternité » (Voir notre étude sur le Miroir dans « Clefs symboliques de l’Énergie » ; 3e Millénaire 12, 1984). Voir aussi: « Tout consiste en Moi et Toi. Moi et Toi, rien de plus; si nous ne sommes deux, Dieu ne sera plus Dieu, et le Ciel s’écroulera » (II,178).
Point de vue n°7.
En Lui-même et pour nous, Dieu, c’est l’Amour. Expression de l’Amour est le Circulus trinitaire. Expression de l’Amour est la Création. Expressions de l’Amour, l’Appel, la Grâce, l’Avatar, l’Incarnation. Le Message retrouvé dit justement: « Dieu est comme un océan infini d’essence lumineuse et vivante, dans lequel tout se pénètre et se connait par l’Amour » (IX, 1).
But asymptotique de toute entité fille de Dieu: vers la Sur-déité. « Ce qu’on a dit de Dieu ne me suffit toujours pas: la Sur-déité est ma vie et ma lumière » (Pèlerin chérub., 1,15).
— DYNAMISME (le) PERPÉTUEL :
C’est un principe absolu: rien n’a de fin, ni la Connaissance, ni la montée en Dieu, ni la transmutation de l’homme et de la Création. Toute conception conditionnée ou statique des choses ressort de la psyché (mental). Rien n’est jamais définitif, ni terminal, ni suprême. Le mouvement dialectique entre « neti, neti » (ce n’est pas cela) et « iti, iti » (c’est cela) doit être continuellement relancé: il est infini.
Novalis écrit avec son intuition merveilleuse: « Toutes les limites qui existent, c’est seulement pour qu’elles soient franchies, — et ainsi de suite » (Œuvres complètes, vol. II, Les Fragments ; Gallimard, 1975, p. 246).
— ÉCHELLE (l’) DE DEIFICATION :
Un jour que, submergé par la beauté du monde, je croyais pouvoir toucher le Divin comme la substance même de mon être, je posai cette question: « Quel est l’itinéraire qui nous mène en Dieu? »
Mon maître me répondit en citant un distique d’Angelus Silesius (II, 255): « Il y a cinq degrés en Dieu: Serviteur, Ami, Fils, Fiancée, Époux; qui va plus loin se perd et ne sait plus rien du nombre ».
— Qu’est-ce à dire?, poursuivit-il. Interprétons ces cinq degrés.
Serviteur : mon Cœur est un silence.
Ami : mon Cœur est un feu ascendant.
Fils : mon Cœur est un feu consubstantiel au Père.
Fiancée : mon Cœur est un miroir fidèle.
Époux : mon Cœur est le relais de l’Amour infini.
La montée en Dieu se parfait alors indéfiniment, selon un monologue à deux voix, Dieu demandant sans cesse: « Es-tu Moi ou Toi? », et moi interrogeant en écho: « Suis-je Toi ou Moi? »
On peut également assimiler ces cinq degrés à cinq plans ontologiques supérieurs, suivant la progression:
Serviteur : le Cœur,
Ami : l’Âme essentielle,
Fils : l’Esprit, en tant que Loi et Grâce,
Fiancée : l’Esprit, en tant que Synergie et Miroir,
Époux : le Je singulier (premier accès au Je Suis), après quoi, toute personne séparée ayant disparu, nous pénétrons dans l’abîme de la Déité.
Puis, contemplant le frissonnement lumineux des feuillages autour de nous, il ajouta: Cela me fait penser à la parole de Jésus dans l’Évangile selon Thomas (logion 19): « Vous avez cinq arbres dans le paradis qui ne bougent ni été ni hiver, et dont les feuilles ne tombent pas. Celui qui les connaîtra ne goûtera pas de la mort ». Comme reflet, et à la fois comme moyen de connaissance de ces cinq arbres célestes, Ramakrishna avait sa Pañchavati, un bosquet sacré, sanctuaire de silence et de méditation, précisément composé de cinq arbres d’essences différentes. Voici le nom et la signification de chacun d’eux:
vata, banian ou Ficus indica : image du Cœur;
bilva, un genre d’oranger : image de l’Âme essentielle;
ashoka, un arbre à fleurs rouges : figurant l’Esprit du Fils;
amalaka, ou myrobalan : figurant l’Esprit de la Fiancée;
et ashvattha, figuier sacré, pippal (et aussi: soleil) : symbole du JE…
C’est ainsi que, musicien de la métaphysique, mon maitre charmait mon âme par le jeu éblouissant des gammes de l’être et des accords de la gnose.
Si je considère que Dieu est autre que moi-même, je suis aveugle. Mais si je crois que je suis Dieu, je suis fou.
Pour atteindre le Soi, il me faut cheminer périlleusement sur le fil d’une épée.
« Un homme qui n’a jamais tenté de se faire semblable aux dieux, c’est moins qu’un homme »
(P .Valéry, Œuvres, Pléiade II, p.486).
Voir aussi Montée, Retour.
— EGO ET JE :
Selon le bouddhisme, nous sommes des « agrégats impermanents », et le moi est purement illusoire. Soit. Mais pourquoi y a-t-il des agrégats égoïques plutôt que rien? Tout simplement parce que derrière ces phénomènes il existe des « grains lumineux et magnétiques », des monades émanées de Dieu, fulgurées par le Feu divin, qui provoquent ces agrégats constamment recommencés. Ces monades, en effet, sécrètent des véhicules divers, animent des personnages variés, captent ou disséminent des ondes spirituelles, psychiques, corporelles, en un ballet incessant. L’essentiel pour nous est de bien distinguer l’agrégat passager du noyau éternel, du principe divin (le « Je suis Qui Je suis » qui nous constitue fondamentalement, selon Ramana Maharshi). Ne pas prendre l’éphémère pour l’impérissable, ni le véhicule pour le conducteur, ni le masque pour la personne, ni le reflet pour le soleil. Le « bébé » (cf. le Puer aeternus) ne doit pas non plus être jeté avec l’eau du bain (c’est-à-dire de la manifestation)…
« Je Suis » est un regard sans commencement ni fin, qui puise sa force dans un autre regard avec lequel il est éternellement lié, comme le Waw (le Fils) est lié au Yod (le Père) dans le Bipôle.
Livrés à eux-mêmes, le corps, la psyché, l’ego, se développent comme des obstacles à la Lumière. Mais si le Je divin qui réside dans le Cœur parvient à percer cette opacité et à s’accroître en pilier de Lumière, le corps, la psyché et l’ego se trouvent alors plongés dans sa clarté transfigurante, et deviennent de ce fait ultravivants et suractifs. Autrement dit, ils ne sont pas supprimés, ils sont transmutés.
Voir aussi JE SUIS.
Saint Christophe, par Albrecht Dürer (Les Gravures sur bois Paris, Art & Culture, 1978, planche n°126) Figure exemplaire pour nous, saint Christophe est le passeur: ici le passeur de sa propre personne, de sa propre destinée d’homme-dieu. Il s’avance avec précaution parmi les eaux de la manifestation, redoutant les pièges et les erreurs. Bien que paraissant près de l’ »autre rive », il redouble d’attention. Il s’aide d’un immense bâton, qui n’est autre que l’Arbre du Milieu ou l’Arbre des Vies, sec d’aspect, mais plein d’une force contenue qui bientôt va jaillir de partout : c’est l’axe théandrique, celui de la descente et de la monté des Énergies. L’Enfant divin (le Puer aeternus), qui représente l’Ange médiateur et le Je essentiel, rayonnant d’une flamme (cf. le Shin hébraïque et son symbolisme), n’est pas vu par le saint, mais il est ressenti dans tout son être et perçu par l’œil du Cœur. Noter le double geste de cet Enfant, analogue à celui des derviches tourneurs pendant leur danse, une main levée vers le ciel, l’autre ouverte vers le bas: celle-ci, touchant le Brahmarandhra (« porte pour l’Absolu ») du passeur, éveille son chakra coronal, de manière à faire circuler la Loi et la Grâce à travers sa personne tout entière. Par ailleurs, l’envol des vêtements contraste avec la circonspection des attitudes: signe de la nécessaire dialectique entre hâte et prudence. Le vieillard à la lanterne, à droite, est l’Ermite, IXe Arcane du Tarot, image de la foi totale jointe à la totale lucidité. C’est l’éternel Pèlerin du Cœur, allant de découverte en découverte et de lumière en lumière; il a su harmoniser l’action et la contemplation, le mouvement et le repos, la présence et l’absence. Il se trouve là comme l’alter ego de saint Christophe, pour témoigner qu’en fait le voyage vers Dieu et en Dieu n’a point de fin. |
Merci beaucoup à
3e millénaire, Revue de libre recherche spirituelle
31 mai 2012 |